Le 17 juin 1940, l’écrivain français Jean Guéhenno prit une double résolution après avoir entendu la déclaration radiophonique du maréchal Pétain annonçant aux Français la fin des combats et la demande d’armistice: tenir un journal, mais ne rien publier tant que durerait l’occupation allemande. Le récit de cette période trouble parut en 1947 sous le titre éloquent de Journal des années noires. Si le livre a été quelque peu oublié, la formule, par contre, est passée à la postérité. Dans l’esprit de Guéhenno, elle signifiait que ces années-là furent un tunnel, sinon un cauchemar: noires pour les victimes civiles et militaires disparues; noires pour les errements et les égarements des élites gouvernant la France; noires encore et surtout pour le déshonneur infligé à la conscience historique d’une grande nation; l’envers des Lumières, lesquelles se confondaient pour lui avec l’idée qu’il se faisait de la France.